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Petite histoire d'une grande souffrance: "burn-out" lèpre de notre siècle?


Ces derniers jours, le débat public s’agitait, assez mollement toutefois, autour d’une proposition de loi concernant le Burn-out, elle soulève une question cenrtrale: faut-il ou non considérer ce phénomène comme une maladie professionnelle ? Que penser de cette maladie, d’ailleurs est-ce une maladie puisqu’elle n’apparait pas même dans la classification des maladies psychiatriques ? Dès lors, comment pourrait-elle être considérée comme une maladie professionnelle si, elle n’est pas même reconnue comme maladie ? Une véritable question de fond s’impose à nous, avant même de présenter nos réflexions sur le sujet.


Historiquement, l’on attribue à juste titre, le burn-out à un psychiatre, le docteur Freudenberger. En effet, ce dernier en a donné la première définition clinique, lorsqu’il a décrit les symptômes dont il a souffert en 1973. Il s’apprêtait alors à partir en voyage avec sa famille, et là, il n’arrive pas à se lever. Il est resté allongé, n’arrivant plus à bouger. Dans son ouvrage, Burn out, the high cost of high achievement[1], il compare dès l’introduction cet état à une maison qui aurait pris feu et dans laquelle il ne resterait plus que les murs tout le reste ayant été consumé par les flammes. Il le compare ainsi à une sorte de coquille vidée de toute sa substance. Il décrit, cet état qui fut le sien à lui, il se donnait totalement, en tant que médecin, sans compter son temps et son énergie, à son travail et à ses patients. Chaque jour, après son activité d’environ dix heures de consultations à l’hôpital, il se rendait à la free clinic, établissement destiné à l’accueil des toxicomanes. Il passait toutes ses soirées et une partie de ses nuits avec ces jeunes êtres en perdition. De fait, le burn out, fut dans les premiers temps, considéré comme une pathologie des professions d’aides : infirmières, éducateurs… Toutes ces personnes qui donnent sans limite, toute leur énergie et leur aide à cet autre malade, pour l’apaiser de ses souffrances. Freudenberger fit le premier une description clinique de ce mal dont il fut atteint, comme une « maladie du trop »[2], comme une forme de toxicomanie, d’addiction, la où, le travail devient le « trop ». Toutefois, le terme « burn out » n’était pas nouveau. Il fut utilisé auparavant par Graham Greene dans son livre A Burnt-Out Case[3] paru en 1960, et dans sa version en langue française sous le titre de La saison des pluies en 1964.


« Je ne mourus pas, et pourtant nulle vie ne demeura » Dante[4]

C’est par cette tragique citation de Dante que l’auteur ouvre ce magnifique roman. Le « héros », ou personnage central, quitte sa vie New Yorkaise pour le continent africain. Cet homme part et quitte sa vie, alors même qu’il semblait avoir « tout » obtenu, et « tout » réussi. Là, il est sur un bateau au fin fond d’on ne sait où. Il va au bout du voyage sur ce fleuve, dont il ne descendra que là, là où le bateau ne peut pas aller, plus loin, là, où il rebrousse chemin. La dernière escale est une léproserie « tenue » par un prêtre. Et, cet homme, qui arrive là, en ce dernier lieu, est comme une « coquille vide » au sens que la vie intérieure est consummée. Il n’a plus envie de rien, il n’a plus rien en lui, et il ne ressent plus rien. Il n’est plus rien pourrait-on dire, il est comme coupé de ses propres émotions, étranger à lui-même. Un peu à l’image de cette maladie, la lèpre qui brûle et détruit le corps, mais pour notre personnage, c’est l’intérieur qui est détruit. Certains médecins autrefois évoquaient le stade de la rémission de la lèpre par cette expression, le « burnt- out case». Elle désigne ce moment où la maladie a rongé et dévoré tout ce qui pouvait être détruit, alors seulement le malade pouvait commencer à guérir. Contrairement à une personne atteinte de la lèpre, le mal de cet homme n’est pas visible à l’œil nu. Cet homme est vidé, détruit, au fond de lui, n’ayant plus d’âme. Il ne meurt pas, mais il n’a plus de vie en lui. Et pourtant, cet homme, avec le temps, va renaitre à lui-même. La renaissance, après avoir vécu le brulant enfer. Cette résurrection salvatrice viendra peu à peu dans un retour à la vie d’un voyage au bout du monde, avec les êtres rejetés de tous, ou presque tous. Cet univers lointain, où nous transporte le roman de Greene, nous plonge dans les méandres d’un huis clos subtil et spirituel, il nous invite à penser l’essence même de toute vie humaine. Il convie l’homme à s’interroger sur le sens de sa vie.

La lèpre fut très présente au Moyen Age en Europe, aujourd’hui des cas subsistent dans certains pays et continents, comme l’Afrique, en Asie du Sud-Est, dans le Pacifique,... Les lépreux furent très vite considérés comme socialement indésirables, puisqu’ils risquaient de contaminer les autres individus sains. Il fallait empêcher la contagion. Le lépreux faisait peur, alors il devenait l’exclu. Il serait possible de voir une certaine proximité entre la lèpre et le burn out. Il est craint parce que non gérable, inquiétant et fréquent, contrairement au bacille de la lèpre actuellement à présent qu’il est nommé[5]. Autrefois au Moyen Age, et bien avant aussi, on mettait de côté celui qui était atteint, il devait se signaler par une crécelle. On ignorait l’origine et le traitement, on pensait juste qu’il était dangereux de rester à ses côtés. L’exclusion semble aussi toucher actuellement la personne atteinte d’un syndrome d’épuisement professionnel, elle n’est pas sans rappeler celle des lépreux d’autrefois. Il n’y a qu’à écouter et lire les témoignages écrits des personnes qui ont vécu cette situation pour entendre cet isolement. Sentiment d’une solitude extrême, et empêchement d’aller vers les autres, dont le frein serait en soi, il n’a plus la force « de ». Et ce n’est pas rien que d’imaginer un tel lien entre une des maladies bactériennes aussi ancienne que l’homme et l’humanité, et notre « fléau »[6] des temps modernes. Un véritable poids dans la vie sociale, quelque chose empêcherait-il d’interroger ce qui se passe vraiment ? Il s’agit d’une même érosion de l’âme que celle décrite dans le roman de Greene. La plupart des spécialistes s’accordent pour dire qu’il est en train de devenir une « véritable épidémie dans de nombreux pays du globe ».


« Le burn-out est une maladie de civilisation »[7]


Il y a quelques années de cela, nous apprenions que le syndrome d’épuisement professionnel (burn- out) était une pathologie qui ne touchait que certaines professions. Aujourd’hui, plus personne ne semble épargné, que nous soyons seul ou sous la dictature d’un pervers narcissique ou autre entreprise : médecins, agriculteurs, commerçants, ingénieur, directeurs, consultants, managers, banquiers, assureurs, ….. Rappelons qu’il nous touche dans ce qu’il existe de plus central dans la vie : le travail ! Il est transformé en ce « trop » qui devient ingérable et épuise la personne jusqu’à ses dernières ressources la pousse hors de ses propres limites. Aujourd’hui, malgré tout ce qui a été entrepris, en matière de lutte contre les RPS, le problème n’est pas résolu. Avec le burn-out, il continue même de progresser, comme nous l’avons exprimé dans un article précédent évoquant une véritable pandémie sociale. Trop de travail alors même que le nombre des demandeurs d’emplois ne fait qu’augmenter ? Comment cela devient-il possible ?


« Nous ne sommes pas en cause, c’est le monde du travail qui a fondamentalement changé.

L’univers professionnel est devenu froid, hostile et exigeant, sur le plan économique et psychologique….Ce phénomène représente un recul majeur dans la dynamique vers une vie professionnelle meilleure »[8].


Ce sont les mutations du monde du travail lui-même qui semblent être cause de cet inquiétant constat au cœur de toutes formes d’entreprises. Le rapport du CESE de mai 2013[9], en appelait à la responsabilité de tous pour progresser vers une possible amélioration du monde du travail et nul doute que cette mise en garde prévalait pour l’épidémie d’épuisement professionnel (burn out). Il y aurait tout comme pour la lèpre en ses débuts, quelque chose qui nous échapperait. A moins que ça ne soit quelque chose d’inacceptable en soi, qu’on ne voudrait pas voir ?

Au final, si la question de cette reconnaissance en maladie professionnelle du burn out, permettait à ceux-là, de pouvoir être enfin reconnus comme étant, ou bien, comme ayant été, pris dans une spirale infernale et destructrice qui les dépasse ? Un mal qui serait admis comme étant indépendant de leur propre volonté ? Ne plus les considérer comme des êtres fragiles et insouciants qui n’auraient pas su s’arrêter à temps ? Cependant, la démarche en elle-même ne nécessitera-t-elle pas une énergie dont ils sont dépourvus ?


Sommes-nous prêts à engager une réflexion et un débat sur le vivre ensemble dans les entreprises, respectueux de la santé des individus qui œuvrent chaque jour à son bon fonctionnement ? Sommes-nous prêts à nous interroger avec sincérité sur l’activité de travail intensive alors même que la performance de tous devient un leimotiv permanent ? Une situation paradoxale dont la matérialisation stigmatise celui-là même dont la performance devient source de souffrance. Une impossible vérité que celle-là qui nous confronte au cœur même de notre engagement dans les activités professionnelles ? Parce qu’il s’agit bien là de ce dont nous devrions nous saisir ce paradoxe indicible du burn out. Cette lèpre du XXIème siècle souffle une idée infernale face à laquelle, tout comme ce personnage perdu de Greene nous y incite, nous devons prendre le temps de penser au monde du travail dans lequel nous vivons. Ce cheminement se pose à travers la nécessité d’une éthique responsable « veillante » au bien de tous, malgré tout. Un éthique ouvre le chemin de nos réflexions malgré le tout du contexte mondial économique et financier, le tout de la présence de plus en plus prégnante du numérique. Il s’agit là d’un processus de maturation vers lequel les entreprises devront alors progresser.


En parallèle à cette proposition de loi sur le burn out, qui n’est sans doute pas inutile, devait être présentée une autre loi, elle défraye quant à elle la chronique, si l’on peut dire ainsi… Cette loi concerne le travail, elle est dite dans un premier temps du travail, rebaptisée « loi pour la protection et le bien vivre des salariés ». Nous devrions nous réjouir de ce beau titre qui semble en appeler ce que nous attendions de nos vœux les plus chers, cependant, nous émettrons quelques réserves. D’ici quelques jours, nous proposerons des questions, puisqu’une première lecture dudit texte, nous a plutôt entrainés dans la crainte évidente de progression du malaise et de la souffrance lancinante qui nourrit et amplifie chaque jour les nombre de cas de Burn out….

[1] Dr Herbert-J. Freudenberger, Burn out- the high cost of high achievement, Anchor Press, New York, 1980.

[2] Pascal Chabot, Global Burn-out, PUF, Paris, 2013,

[3] Graham Greene, A Burnt-Out Case, Uniform Edition, New York, 1960.

[4] Graham Greene, La saison des pluies, Editions Rencontre, Suisse, 1964, p.21.

[5] Le docteur norvégien Armauer Hansen découvre en 1873 le bacille de la Mycobacteriul leprae, qui portera son nom de bacille de Hansen.

[6] Voir notre article précédent sur le Burn out : https://www.linkedin.com/pulse/burn-out-fl%C3%A9au-social-ou-mode-leila-nadji?trk=hp-feed-article-title-like

[7] P. Chabot, op.cit. p. 13.

[8] C. Maslach & M-P. Leiter, Burn out, le syndrome d’épuisement professionnel, Ed.Les arènes, Paris, 1997, p.19.

[9] Direction Sylvie Brunet, La prévention des RPS, Avis du CESE, Editions des journaux officiels, Paris, 2013. Le conseil économique, social et environnemental est une assemblée consultative de la République.


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