Mes carnets de recherche
- LNA
- 24 nov. 2015
- 5 min de lecture

"Le chemin est un chemin de la pensée . " Martin Heidegger
Essais et conférences, Gallimard, Paris, 2013, p. 9.
Un an… Depuis un an déjà, je me suis engagée dans ce travail de thèse. L’origine de mon thématique se situe dans la question de la prévention des risques psychosociaux. Ce sujet d’actualité m'interpelle depuis plusieurs années, parce qu'il s'est invité de manière fulgurante dans le cadre de mes activités professionnelles. Il fut par ailleurs l'objet de mes premiers et précédents écrits en master d'éthique. La décision de poursuivre en thèse, fut prise avec un enthousiasme passionné, lequel a très vite été suivi d'une terrifiante inquiétude.
D'abord, il y a le regard des autres, des proches, amis ou famille, tous ceux qui ne comprennent pas vraiment. Et cela est logique : à la cinquantaine, les gens organisent habituellement leur fin de carrière, voir même, ils envisagent la retraite. Et me voilà, encore et toujours, inscrite à l'université, une amie m'a dit: "mais tu ne finiras jamais d'étudier?". Comme s’il y avait un moment où, apprendre ou essayer de comprendre, ne serait plus nécessaire.
D'autres, m'interrogent : "une thèse, mais pour faire quoi?", "à quoi ça va te servir?". Utilité, le mot est lâché, on devrait penser à ce quoi ça va nous être utile, dans notre métier ou pour trouver un emploi. Alors que l’on avait un emploi, quelle inconscience et quelle immaturité que celle de celui ou celle qui se lance dans cette aventure insensée… ?! Rien ne se fait par hasard tout doit entrer dans un cadre, dans ce fameux plan de carrière et si l’on a déjà un travail, une vie organisée sur des rails, doit-on encore passer du temps à cela ? Il faut bien entendre que d'un point de vue du travail, tout ça ne donne pas forcément une image classiquement "normale". Dès que l’on a un métier, alors, qu’est-ce qui peut bien nous motiver à poursuivre un chemin de la pensée ?
En général, j'essaye juste de dire, que, à mon niveau infinitésimal, je souhaite apporter non pas une pierre, mais au moins un petit caillou à l'édifice du savoir. Orgueil démesuré ou bien, grande inconscience? Toujours est-il qu’il ne suffit pas de vouloir pour pouvoir, on doit avoir un sujet de questionnement sur lequel on veut chercher, étudier, et, il faut aussi trouver quelqu’un qui accepte de vous accompagner : un directeur de thèse et un « laboratoire » universitaire.
Il reste un travail considérable à fournir, et, l'entrée en thèse implique quel que soit le sujet, l’engagement dans un long cheminement. Tout simplement, il y a là quelque chose à dire et quelque chose à faire, qui devient inéluctable. Cette envie accapare l’esprit et guide nos pas vers la nécessité de réaliser ce travail particulier. En même temps, en assistant aux différentes rencontres organisées par l'université au sein de la communauté d’écoles doctorales, force m'a été de constater que je n'étais pas la seule "senior" à me lancer dans cette formidable aventure de la thèse. Et cette question pourrait également faire l’objet d’une recherche sociologique, elle mériterait que l'on s'y penche un peu. Et l’expérience de vie peut être un atout considérable pour le penseur.
En définitive, les considérations sur l'âge s'éloignent d'elles-mêmes face à la nécessité. Il est temps pour moi de vous confier que je présente une thèse en philosophie pratique. Dans ce contexte particulier, la philosophie vient éclairer une pratique professionnelle qui interroge. L'expérience est absolument nécessaire, en tant que confrontation à une réalité extérieure. Ce cheminement doit apporter un certain recul, à défaut d'une certaine sagesse, propre à la réflexion philosophique. Cette discipline évoque une idée de réalité comme point de départ, une philosophie qui naitrait d'une réflexion sur des faits réellement vécus. Nous sommes confrontés quotidiennement à des situations qui nourrissent notre approche qui est en elle-même une forme de singulière de l’authenticité.
Il manquait à mes yeux un maillon essentiel à la compréhension du monde du travail et aux risques de survenue de troubles psychosociaux qu'on y observe aujourd'hui. Les réponses que je trouvais dans mon approche purement psychosociale et en termes de santé au travail n’étaient à mes yeux que peu ou pas satisfaisantes pour établir une prévention primaire. Il manquait toujours quelque chose pour comprendre le phénomène et y faire face. Alors qu’il semblerait que nous ayons maitrisé un certain nombre de risques physiques, notre siècle voit se développer une forme nouvelle de souffrance à la diffusion pandémique à peine ralentie par tous les moyens mis en place. Et dès lors, il me fallait, parce que je ne pouvais pas faire autrement, m'engager dans cette voie. J'ai donc commencé à "travailler" sur cette idée de compréhension d’un phénomène, à cheminer dans mes pensées. Petit à petit, mes idées se sont organisées, il fallait face cette problématique immense et commençant par appréhender la construction de façon plus globale. Enfin, montrer que la voie donner par l’éthique au sens du polis, du vivre ensemble et non pas restreinte à une dialectique moraliste. Les concepts sont venus se poser les uns après les autres, comme des lumières qui sillonnent un chemin dans la nuit. Une sorte de trame s'est élaborée au fil du temps donnant le socle de base pour soutenir ma thèse.
Trois idées majeures seront développées dans mes recherches:
Qu’est-ce qui se passe ? Que peut-on voir ? Il devient nécessaire de porter un regard plus global sur le phénomène lié aux risques psychosociaux, afin d'en appréhender au mieux le mouvement de sa dynamique, de son fonctionnement S'il est difficile à saisir du fait d'une multiplicité de manifestations, il est particulièrement prégnant sur deux formes essentielles que nous avons observées à titre d’exemple: le risque suicidaire (origine de l’intérêt sociétal) et le syndrome d'épuisement professionnel (burn out) ( celui qui se développe le plus aujourd’hui au cœur de l’intérêt sociétal). Nous devons, non pas nous centrer sur les symptômes, mais sur les différentes interactions possibles, sur la façon dont les éléments agissent les uns sur les autres. Ce qui revient à envisager non pas le travail comme activité, l’entreprise et son organisation, ou bien la relation de l'homme au travail, mais bien le monde du travail comme un tout complexe et consistant.
La notion d'aliénation de l'homme par le travail serait-elle devenue désuète? L'homme lui-même est-il devenu obsolète dans le monde généré et géré par la technique aujourd'hui? Tout se passe comme si, l'on était passé d'un paradigme, celui de l'aliénation, à un autre, l’obsolescence, comme le présentait Günther Anders dans ses nombreux ouvrages. La réalité, des observations du monde du travail à travers les restructurations et les cas de troubles psychosociaux, témoigne de cette hypothèse.
Dans ce troisième volet, nous interrogeons la vision cataclysmique de fin de l’humanité de Günther Anders et, nous lui opposons une issue possible. Nous empruntons pour cela le terme de maturité, au physicien Dennis Gabor, (prix Nobel 1971), dans son unique ouvrage "the mature society" ( une société mature). Cette maturité devient nécessitée dans les entreprises, le monde du travail, mais peut-être également du monde dans lequel nous vivons. Ce concept de maturité constitue la fondation d'une nouvelle éthique commune émancipatrice de la responsabilité bien-veillante.
A ce jour, mes réflexions sont ainsi posées autour de trois concepts essentiels : complexité/ obsolescence/ maturité. A partir de là, surgissent de nombreux ouvrages à lire et de pages à écrire. Les différentes notes et discussions sont rédigées sur des carnets papier, tout au cours de mes abondantes lectures, d'où l'appellation de ce blog, "mes carnets de recherche". Les articles seront des brides éparpillées de la montagne qui se bâtit. L'idée première étant de partager sur et autour des réflexions à la source de l'écriture de ma thèse et, aussi de donner corps à mes pensées. Ici, je pose quelques traces de mes questionnements fondamentaux.
LNA
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