Günther Anders : un poète maudit?
- LNA
- 11 août 2017
- 4 min de lecture
« C'est Poètes absolus qu'il fallait dire pour reste dans le calme,
mais outre que le calme n'est guère de mise en ces temps-ci,
Notre titre a cela pour lui qu'il répond juste à notre haine…
Absolus par l'imagination, absolus dans l'expression,...
Mais maudits! Jugez-en. » P.Verlaine
En quelques lignes Paul Verlaine nous livra une description étrange, presque troublante, de ces êtres singuliers qu’il appelait les poètes maudits. Ce que nous pouvons en retenir toutefois est cette quête d'absolu. Un absolu qui rend si puissant et pur ceux que l'on appelle ainsi maudits. Jamais satisfaits, et toujours déjà entrain de poursuivre leur quête alors que nous découvrons médusés, la grandeur de leurs propos. Maudits, parce que malheureux sans doute, mais aussi, parce qu'ils ont une perception du monde qui les éloigne des autres. Cet absolu n'a rien du commun quotidien dans lequel nous vivons tous, il est au delà. Cet ailleurs d'une pensée qui plonge le poète dans une si forte intransigeance.
L’auteur Günther Anders, encore méconnu, il y a peu de temps en France, pourrait être un de ces poètes maudits. Homme intransigeant, en quête d'absolu, rappelons qu'il a écrit "Et si je suis désespéré, que voulez vous que j'y fasse? " , titre donné à l'un de ses ouvrages . Tour à tour Don Quichotte ou Cassandre des temps modernes, il nous invite à voir le monde dans un regard terrifiant sur l'humanité mais parfois si juste qu'il devient bouleversant.
Comme certains philosophes de sa génération, telle Simone Weil, la vie de Günther Anders a été marquée par sa plongée dans la réalité, celle du monde du travail. et, le personnage a marqué par son intransigeance. Si nous devions le définir juste en quelques mots, à travers ce que nous percevons de lui, nous dirions de Günther Anders qu’il était intense, idéaliste et radical. Il n’était pas ce que l’on pourrait un homme d’apparence sympathique mais, sa sensibilité et ses exigences lui conféraient un abord « difficile ».
Le survol en quelques pages de l'ensemble de ses publications, nous donne à envisager une compréhension de l’histoire de Günther Anders et, de l’histoire à travers ses expériences de la vie. Et, par cette pensée il nous fait pénétrer dans une expression phénoménologique. Il nous entraîne avec toutes ses observations, ses analyses et ses réflexions dans tous les domaines de la vie, nous l’avons constaté. Nous allons réduire le champ d'exploration sur ce qui concerne particulièrement notre objet: le monde du travail.
Je pose ma tasse et me tourne vers mon esprit. C’est à lui de trouver la vérité. Mais comment ?
Grave incertitude, toutes les fois que l’esprit se sent dépassé par lui-même ; quand lui, le chercheur, est tout ensemble le pays obscur où il doit chercher et où tout son bagage ne lui sera rien.
Chercher ? Pas seulement : créer.
Il est en face de quelque chose qui n’est pas encore et que seul il peut réaliser, puis faire entrer dans sa lumière.[1]
« Je pose ma tasse », serait-ce dans cette profondeur de l’instant présent que s’ouvre la porte de la pensée ? L’esprit écoute le monde autour de lui, il écoute le murmure des idées qui le hantent, depuis déjà bien des années. Cette pensée habituée à emprunter des chemins doit leur tourner le dos, pour envisager de renoncer à les prendre pour en trouver de nouveaux. Nous sommes pris chaque jour dans une sorte de tourbillon quotidien, il nous échappe chaque fois un peu plus, et encore plus le jour suivant parce que, ce que nous pensions faire le jour d’avant est revenu avec ce que nous avions convenu de faire ce jour-là. Ce jour là même où, par un pur hasard nous avons découvert Günther Anders.
Avez-vous déjà rencontré quelqu’un?
Je veux dire, véritablement rencontré quelqu’un?
C’est-à-dire que vous avez ressenti de suite qu’il se passait quelque chose, autre chose entre vous et lui ? Autre chose que ce qui se passe habituellement? Lui, ce quelqu’un, avec qui vous êtes tout de suite « en présence » l’un avec l’autre. Pas simplement une présence, mais particulièrement vous auriez éprouvé spécifiquement là, une proximité ( et nous y reviendrons dans nos travaux à cette notion essentielle de la proximité). Vous étiez alors proche, en totale confiance et vous avez ressenti l’un et l’autre une sensation de parfaite compréhension l’un de l’autre ? Cette harmonie, singulière ressentie lorsque nous rencontrons, un ami, nous arrive parfois quand nous découvrons un auteur. Rappelons-nous comme le disait Montaigne, quand il découvre l’amitié avec La Boétie avant même que de le croiser, il avait eu connaissance de ses écrits.
C’est arrivé quand j’ai croisé ce jour-là, l’écriture de Günther Anders. Il y avait là comme un nouveau, mais peut-être aussi une piste, ce « petit quelque chose » encore une fois, indéfinissable, juste une sensation d’avoir peut-être trouvé là de la matière à penser. Un peu, comme si nous étions dans une clairière et que nous étions assoupis, parce que nous nous étions perdus, et, qu’au réveil un petit espace entre les arbres ressemblait à un début de route. De l’écoute naît la rencontre, de ce moment d’attention où l’on se prête à accueillir un logos au sens premier du discours. « Le logos est discours. Il peut et doit être écouté ». Elle est rendue possible, cette écoute, par la disponibilité que nous donne le temps qui s’arrête ou bien et surtout, la dépossession de notre action. Posons notre tasse, et si cela voulait dire, posons notre façon de voir ce monde du travail dans notre pratique quotidienne de conseil, et tournons-nous vers autre chose qui nous donne à penser.
Et l'oeuvre magistrale de Günther Anders est un puits sans fond dans lequel nous allons pouvoir puiser la colonne vertébrale de notre pensée.
[1] Marcel Proust, A la recherche du temps perdu, Ed. Quarto Gallimard, Paris, 1999, p.45
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